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Entre Gare de l’Est et Châtelet

Extrait de "Tout ces gens qui m’aiment" Copyright BAO

mercredi 9 mars 2005, par Bao

Elle est là, comme tous les jours. Derrière son comptoir, elle dirige les voyageurs dans les couloirs de la Gare de l’Est. Ca ne la met pas du tout en valeur ce polo vert de la SNCF. Ses cheveux sont remontés de façon un peu archaïque et elle porte souvent un vieux pantalon en velours ou un vieux jean délavé. Elle a récupéré des vieux fringues et on a l’impression qu’elle débarque des sixties avec son look un peu hippie.

Elle est là.
Comme si elle attendait quelque chose, la lune ? le déluge ? Elle a l’air perdu dans ses pensées... A quoi pense-t-elle ? Je me le suis toujours demandé quand je la regarde. Je crois que je l’aime bien. Elle me ressemble. Elle nous ressemble tous.

Tous les jours, quand elle a fini son travail, elle va rejoindre une de ses amies qui travaille au bureau de tabac. Ensemble, elles vont fumer une cigarette dehors. Ensuite, elles se séparent et oublient chacune l’existence de cette foutue gare pleine de pigeons et de voyageurs pressés.

Aujourd’hui, elle est encore là, à l’heure. Je la regarde, mais elle ne m’a jamais remarqué. Les gens commencent à aller la voir, à lui poser des questions. Ils ont l’air tellement perdus. S’ils levaient la tête ils verraient que tout est indiqué . Mais ils vivent tous dans leur monde et ne cherchent pas à le comprendre , il y a des gens qui sont payés pour les aider, comme elle.

Vers midi, ça se calme, il y a moins de monde et elle a le temps d’aller manger. Pourtant un homme est venu lui parler et s’est même assis à côté d’elle. Il avait du temps. Au fond, c’était bien le type d’homme avec qui je l’aurai vu. Les cheveux mi-long, une chemise, un vieux sac de marin. Ils ont parlé longtemps et ont ri. Je ne l’avais jamais vu rire ainsi !
Il lui a raconté qu’il travaillait à Brest et qu’il passait souvent ici pour prendre le RER et rendre visite à ses parents qui habitaient en banlieue. Elle tentait de suivre tout ce qu’il lui racontait, et ne retint pas tout. Elle se souvint qu’il avait de grandes mains et un regard à tomber par terre ! Elle ne parla pas beaucoup ; tant qu’il était là, le panneau des départs aurait pu s’écraser, tuer dix touristes allemands, elle n’y aurait même pas prêté attention.
Ses yeux brillaient et elle ne le quitta pas du regard quand il partit.

Elle repris son travail, comme si de rien n’était. Mais quelque chose venait de changer.
L’amour ?? En si peu de temps ?
Tout est possible à la Gare de l’Est.

Il lui avait donné rendez-vous à cet endroit précis, celui où elle travaille tous les jours. Il la regardait depuis longtemps et voulait qu’ils se connaissent mieux.

Elle était aux anges ! Bien sûre, des mecs qui vous filent des rencards de ce genre, elle en avait vu plein. Mais là, c’était différent.
Elle avait envie de tous les envoyer chier, tous ces pauvres cons qui venaient lui demander des trucs stupides. Jamais aucun ne lui avait demandé « et vous mademoiselle ? Vous allez où ? » Personne ne s’intéressait à elle.

Quand elle eut fini, enfin, elle alla ranger tout son comptoir dans le placard prévu à cet effet.
Au même instant, un train arrivait de Melun et s’arrêtait quai numéro 3, juste devant l’emplacement de son comptoir.
Elle s’empressa de revenir au lieu du rendez-vous et se posa sur une barrière. Elle fuma une cigarette et pris un chewing-gum pour ne pas sentir la clope... sait-on jamais, qu’il veuille l’embrasser, ou la sentir de plus près ?

Au bout d’une heure, le jour commençait à baisser et elle s’impatientait. Elle n’avait rien à lire, et les prospectus de la SNCF, elle les connaissait par cœur...

à suivre